lundi 23 avril 2012

Bosnie - Herzégovine : Il y a vingt ans, le début de la guerre

Bosnie: 1992, une année sinistre

En ce mois d'avril 2012, les médias ont rappelé le sinistre anniversaire de ce conflit qui a embrasé les Balkans.En effet, le 1er mars 1992 se déroulaient les premiers affrontements en Bosnie-Herzégovine , avant que, le 4 avril 1992, la situation ne dégénère en une guerre tragique qui a coûté la vie à probablement près de 150 000 à 200 000 personnes. 

La Bosnie aujourd'hui ?

Dans ses conseils aux voyageurs, sous la rubrique "Sécurité" et dans la sous-rubrique "Contexte politique", le site France Diplomatie - Ministère des Affaires étrangères et européennes donne les informations suivantes à la date du 22 avril 2012 :

La situation sécuritaire s'est stabilisée, le calme règne sur l'ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine. Dans ce contexte, la présence internationale dans le pays a vocation à diminuer peu à peu. 

Le pays étant caractérisé par la coexistence de trois communautés ( bosniaque musulmane, croate catholique, serbe orthodoxe) et par la persistance d'antagonismes hérités de la guerre de 1992-95, les voyageurs sont invités à s'informer du contexte local et à faire preuve de la plus grande retenue dans leurs éventuelles prises de position concernant les développements politiques dans la région.

Certaines zones minées demeurant sur l'ensemble du territoire sans que cela soit toujours correctement indiqué, les voyageurs sont invités à ne pas quitter les routes goudronnées ou les chemins régulièrement fréquentés et, en tout état de cause, à ne pas les emprunter seuls.

Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays/bosnie-herzegovine-12215/


Pourquoi ce conflit ?

Si nous nous remémorons les scènes d'horreur dont les journaux télévisés nous ont fait part quotidiennement pendant cette période trouble du printemps 1992 à 1995, ces scènes qui se passaient à quelques heures de route de nos frontières, il est légitime de s'interroger sur leurs causes et d'essayer de comprendre afin de retenir la leçon, comme on le dit généralement après chaque conflit dévastateur.

Sans rentrer ici dans l'histoire complexe de cette région du monde, ni de ce pays de l'ex-Yougoslavie, il est certain que la conjonction de soif de pouvoir de l'un ou l'autre protagoniste majeur et le nationalisme exacerbé de certains, avec leur rêve de "Grande Serbie", a conduit à ce désastre. 

Pourtant il y eut des signaux. Ainsi dès 1983 eut lieu le procès de Vojislav Seselj, condamné à deux ans de prison pour avoir prôné la création d'une Grande Serbie et le partage de la Bosnie entre Serbie et Croatie. Ainsi y eut-il un discours de Slobodan Milosevic devant un million de personnes , à l'occasion du 600e anniversaire de la bataille de Kosovo Polje. Ainsi Milosevic est il élu, en cette même année 1989, président de la présidence de Serbie. (Source : Chronologie, dans Sarajevo, mon amour de Jovan Divjak - Entretiens avec Florence La Bruyère / 2004 Ed. Buchet Chastel)

(Remarque du webmestre: A noter qu'il existe un aspect particulier, relativement méconnu, ou du moins souvent passé sous silence, de la bataille de Kosovo Polje que nous évoquerons dans un prochain post).


Il se trouve qu'après un premier voyage en Croatie et Bosnie en 2007, lors d'un second périple dans ces deux pays en 2008, le hasard nous a fait rencontrer Jovan Divjak, ce général, d'origine serbe, qui a pris parti pour la Bosnie et qui a assuré la défense de Sarajevo. Pour illustrer le cas de la ville de Mostar, nous reproduisons ci-dessous l'un ou l'autre passage de son livre.

Jovan Divjak au Tunnel à Sarajevo (2008) / photo webm. prana infos
La ville de Mostar

Pour le touriste déambulant dans le centre historique de Mostar, malgré la présence encore très visible en 2007 et 2008 des signes des combats, il pouvait constater que cette petite ville n'était pas dépourvue de charme et même d'une harmonie naturelle. Cependant alors qu'avant la guerre y cohabitaient en paix les communautés locales, pour Mostar, ce qui a peut-être frappé les esprits, c'est cette destruction de son vieux pont en ce jour du 9 novembre 1993.

"La ville, exceptionnelle par l'ensemble de ses habitations et monuments réunis dans un urbanisme harmonieux qui s'est développé au fil des siècles, était célèbre pour sa douceur de vivre." (Source : Wikipédia).

Extraits du livre Sarajevo, mon amour de Jovan Divjak (Préface de Bernard-Henri Levy) :


- Qu'avez-vous ressenti lorsque le pont de Mostar a été détruit par les nationalistes croates, le 9 novembre 1993 ? 

- C'était une splendeur, une arche superbe construite au XVIe siècle par l'architecte ottoman Mimar Hayreddin. N'importe quel habitant de Bosnie, de Yougoslavie pouvait en être fier. Certains sautaient même depuis le parapet dans les eaux de la Neretva près de trente mètres plus bas.Pour moi, le choc a été tel que j'ai écrit une lettre publiée dans Oslobodjenje sous le titre "Le mardi noir". A Mostar, un de nos soldats avait une caméra vidéo et a tout filmé. La cassette est aussitôt partie pour Sarajevo et les images du pont s'effondrant dans l'eau  ont été diffusées le soir même. A l'état-major, les commentaires fusaient de tous les QG par liaison radio, les voix étaient graves, extrêmement tristes. [...]

Cet acharnement à détruire le patrimoine, c'est de la barbarie, et l'architecte serbe Bogdan Bogdanovic a été l'un des premiers à le dénoncer. J'ai beaucoup d'admiration pour cet homme remarquable, qui fut maire de Belgrade pendant dix ans. Il a dû prendre le chemin de l'exil après avoir été menacé par les nationalistes. Dans un article que j'ai conservé précieusement, il écrit que les forces serbes ont attaqué les plus belles de toutes les villes. Animés par cette haine de la beauté, les agresseurs ressemblent, selon lui, "au fou qui jette du vitriol au visage d'une femme superbe tout en lui promettant de la rendre encore plus belle". Les extrémistes pan-serbes avaient en effet juré de rebâtir Vukovar - une magnifique petite ville de Croatie, située au bord du Danube, qu'ils ont presque réduite en cendres -dans un style serbo-byzantin. Un serment d' "architectes" déments, selon Bogdanovic qui explique que l'on peut expliquer l'ascension ou l'effondrement des civilisations par "l'histoire d'un combat permanent entre ceux qui aiment les villes et ceux qui les détestent". [...]

- Que pensez-vous des nouvelles mosquées qui ont surgi de terre à Sarajevo, notamment l'immense Dzamila financée par l'Arabie saoudite et dont le style évoque plus le Moyen-Orient que l'architecture ottomane propre à la Bosnie ?

- Il me semble moins indispensable de bâtir ce genre d'édifice que de restaurer les précieuses vieilles mosquées de Sarajevo, dont il faut noter que, si certaines ont été endommagées, aucune n'a été détruite. Ce qui ne me plaît guère, c'est que les mosquées poussent dans des endroits où il n'y en avait pas auparavant. 

Cette fièvre architecturale est aussi présente à Mostar, où la guerre a défait le cosmopolitisme d'antan et séparé les Croates et les Bosniaques qui vivent de part et d'autre de la rivière Neretva. Sur la rive ouest, les Croates ont planté une immense croix sur le mont Hum, d'où ils pilonnaient les Musulmans pendant le conflit. De plus, ils ont ajouté un clocher gigantesque à l'église Pierre-et-Paul des Franciscains. Il mesure cent huit mètres de haut ! Et semble narguer les Bosniaques qui vivent sur la rive est. 

Du coup, les mosquées de la rive orientale répliquent en lançant de sonores appels à la prière. Lorsqu'on est assis à l'ombre des tilleuls et des acacias au bord de la rivière, on entend le son clair des cloches et celui des muezzins qui veulent chacun avoir le dernier mot...

Mais on voit aussi des démonstrations de bonne volonté. En 1995, le gouvernement de la Fédération a financé la rénovation de l'église orthodoxe du quartier de Novo Sarajevo. C'était un geste politique important même si, à mon sens, la priorité aurait dû aller aux entreprises, aux hôpitaux et aux écoles.    

- A propos d'initiatives pour les jeunes, une école de musique pour enfants a été ouverte à Mostar. Est-ce un succès ?

- Oui, c'est le centre fondé à l'initiative de Luciano Pavarotti. Outre une école de musique, on y trouve des ateliers de peinture et des rencontres littéraires. Il est situé dans le quartier musulman. En théorie, il est ouvert à tous, mais il est peu fréquenté par les jeunes Croates qui ont "leur" centre culturel sur l'autre rive de la Neretva.

Tout est encore difficile à Mostar. La ville a deux réseaux d'électricité, deux compagnies de téléphone, deux universités... Les jeunes Bosniaques et Croates grandissent de part et d'autre de l'ancienne ligne de front, près de laquelle se trouve un édifice un peu emblématique : l'ancien lycée, dont la belle façade ocre de style néomauresque rappelle la Bibliothèque nationale à Sarajevo. Avant guerre, il accueillait tous les Mostarois. Aujourd'hui éraflé ça et là par des tirs de roquettes, il est vide. Personne n'est d'accord pour en faire un établissement mixte.

- Vous vous êtes toujours considéré comme un Yougoslave. Cette guerre vous a-t-elle fait découvrir votre identité serbe, ou bien vous l'a-t-elle imposée ? Cela vous plaît-il d'être appelé "le général serbe" ?

- J'étais Yougoslave et maintenant que la Yougoslavie n'existe plus, je suis Bosnien. Mais on me colle toujours l'étiquette du bon Serbe; on considère cela plus important que de décrire mon rôle et ma participation à la défense du pays. Certes, je ne nie pas être né à Belgrade et ne refuse pas mon identité serbe. D'ailleurs pendant une partie de ma vie, je me suis déclaré comme Serbe dans les recensements.

Mais, en 1992, j'ai compris que le plus important était d'être un citoyen de Bosnie-Herzégovine. Et j'ai toujours détesté qu'on essaye de me récupérer. A tous les curieux qui ont voulu rencontrer le "Serbe" de l'Armija, j'ai répliqué que j'étais Bosnien. Bosnien et terrien puisque j'appartiens à la planète Terre. J'ai même dit un jour à un journaliste que j'étais juif ! Bref, les nationalités, les groupes ethniques, sont des concepts trop étriqués dans lesquels je me sens à l'étroit. Lors du recensement de la population en 1990, un citoyen de Sarajevo s'était inscrit comme Esquimau pour exprimer son ras-le-bol des étiquettes ethniques. Peut-être est-ce une forme d'arrogance de ma part, mais je me sens citoyen du monde.

 
Jovan Divjak à Sarajevo - 2008 / photo prana infos

En Bosnie, vingt-cinq mille enfants ont été tués. Trente mille ont perdu l'un de leurs parents et plus de deux mille jeunes se sont retrouvés orphelins.
Jovan Divjak est parfaitement francophone et se consacre désormais à une association " L'éducation construit la Bosnie-Herzégovine" qu'il a créée pour leur offrir un soutien moral et matériel qui leur permette de poursuivre leurs études. Il est également en contact avec des associations françaises.

Page en français de l'association : http://www.ogbh.com.ba/fr/pocetna.html

Voici une petite galerie de photos de Mostar prises en 2007 et 2008:

Mostar centre ville 2007 / photo webm. prana infos
Mostar vieille ville 2008 / photo webm. prana infos
Etat de la mosquée Karadoz Bey après la guerre / photo prana infos
Mostar vue générale 2007 / photo webm. prana infos
Mostar - Entre clochers, minarets et ruines, la vie reprend 2007 / photo webm. prana infos
Mostar vue sur le vieux pont reconstruit 2007 / photo webm prana infos