Bernard Montaud et Patrick Viveret: leur point de vue sur la crise
TGV Magazine est une revue mensuelle française gratuite éditée par Textuel pour le compte de la SNCF, qui le distribue dans les TGV depuis 2001. Son tirage oscille autour de 285 000 exemplaires (Source: Wikipédia).
TGV Magazine est une revue mensuelle française gratuite éditée par Textuel pour le compte de la SNCF, qui le distribue dans les TGV depuis 2001. Son tirage oscille autour de 285 000 exemplaires (Source: Wikipédia).
Cette revue a publié en juin 2009 (?) sous le titre La crise, une opportunité ? un texte fort intéressant qu'on nous a transmis à l'époque. Il s'agit de propos recueillis par Eric Tariant auprès de Patrick Viveret et de Bernard Montaud et publiés sous la rubrique Libre arbitre - Débat sur un sujet qui divise. S'agissant d'une revue gratuite, nous publions in extenso l'article.
La crise, une opportunité ?
La crise économique et financière est elle conjoncturelle ? N'annonce-t-elle pas, plutôt, un changement d'ère ? Des évolutions plus radicales qui affecteront nos modes de production, de consommation et de vie ? C'est la conviction de certains chercheurs qui pensent que les principaux problèmes ne se situent pas dans l'ordre de l'avoir, mais dans celui de l'être...
Les origines profondes de cette crise économique ne sont-elles pas culturelles et spirituelles avant d'être économiques ?
Patrick Viveret : Le mot finance est issu du latin fides qui signie la confiance, mais aussi la foi. Toute grande crise financière est, d'une certaine façon, une crise culturelle, religieuse, une crise de civilisation, de foi. C'est tout un système de croyance qui s'effondre avec cette crise. Un système de croyance né avec la révolution conservatrice anglo-saxonne, sur le plan intellectuel, avec les idées de Friedrich Hayek et de Milton Friedman, et sur le plan politique, lors de l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Cette crise s'apparente à ce qu'Aristote appelait une crise chrématistique, qui survient quand on fait de la monnaie une finalité, au lieu de l'appréhender comme un moyen. C'est l'effondrement d'une civilisation fondée sur le lucratif.
Bernard Montaud : A un moment donné, l'avoir a été légitime. Il conditionnait l'épanouissement d'un ego qui s'est largement développé dans le monde occidental. Le désir de posséder a atteint, aujourd'hui, un degré pathologique générateur de misère. Chercher a avoir toujours plus, alors que plusieurs milliards d'êtres humains manquent de tout, n'est plus possible. Cette crise est un réajustement de l'Histoire, un coup de semonce qui nous rappelle à la raison. Donner du sens à cette crise est la seule façon de trouver des solutions.
La crise, au-delà des soubresauts économiques et sociaux qu'elle provoque, ne peut-elle pas être appréhendée comme une chance, une occasion de changer de voie, de refonder l'économie et la politique ?
P.V. : En finir avec notre approche économique insoutenable est une opportunité. Il faut bien comprendre que la crise que nous traversons est systémique. Elle est à la fois écologique, économique, financière, sociale, alimentaire (émeutes de la faim), mais aussi géopolitique (fin de l'hyperpuissance américaine), culturelle et religieuse. Aux racines de cette crise se trouve la démesure, ce que les Grecs appelaient l'ubris. C'est la démesure qui est au coeur du dérèglement des rapports avec la nature, et qui se traduit par la crise climatique et celle de la biodiversité. La démesure est au coeur également de la crise sociale mondiale qui a généré un creusement des inégalités: la fortune personnelle des 225 personnes les plus riches est égale aux revenus de 2,5 milliards d'êtres humains. On la retrouve aussi dans le découplage entre l'économie financière et l'économie réelle. La démesure conjuguée au mal-être est compensée par une sorte de toxicomanie ou de boulimie qui prend la forme de l'hyperconsommation.
B.M. : Il ne s'agit pas d'une simple crise, mais d'une profonde mutation de la société et des hommes qui durera, sans doute, plusieurs dizaines d'années. Je pense que cette crise va nous amener à nous réajuster, d'un point de vue historique, vers un avoir plus juste. Tous les biens disponibles sur Terre vont être révisés à la baisse. Les pays émergents n'auront jamais autant de biens que ce que nous, pays riches, avons eu à notre disposition. Il va falloir accepter des pertes successives qui nous permettront de mûrir, de grandir intérieurement. Certains vont s'aigrir, se fermer de plus en plus et souffrir. D'aucuns accepteront de perdre afin de partager avec les autres. Cette crise constitue la grande opportunité historique pour que le monde occidental se tourne vers l'autre et partage s'il ne veut pas souffrir face à ces pertes.
Nous allons traverser quatre stades successifs qui amèneront certains à partager, à réaliser quatre partages essentiels, tandis que d'autres se crisperont.
Le premier stade va être le partage des biens qu'il ne sera plus nécessaire de posséder individuellement. Le second stade sera un partage de services, car la production et le monde du travail gagneront de plus en plus les pays émergents. Le troisième partage sera celui des dialogues essentiels, un retour à l'intériorité humaine, dans un monde où la communication est de plus en plus superficielle. De façon de créer des îlots de vérité dans un monde de mensonge. Bénie soit la crise, si elle nous enseigne que toutes les réponses sont en nous-mêmes. Le quatrième partage doit se faire en direction des plus pauvres, des plus démunis de la planète.
Voyez-vous poindre les premiers changements qui auraient pu être induits par cette crise ?
P.V. : Ces changements ont commencé à se manifester avant la crise. Des enquêtes, réalisées il y a une dizaine d'années, ont révélé l'émergence de créatifs culturels. Il s'agit d'individus qui ont changé de postures de vie par une sorte de décrochage silencieux. Ceux-ci représenteraient entre 12 et 30 % de la population des pays occidentaux. D'autres changements ont été induits par la crise elle-même. La lutte contre les paradis fiscaux, la limitation des hauts revenus, des stock-options et des parachutes dorés ou, encore, la régulation par l'Etat qui étaient, il y a peu, considérées comme rigoureusement impossibles, sont en passe de voir le jour. L'espoir secret des classes dominantes - elles ont créé le système qui est en train de s'effondrer - est que la crise ne soit qu'une simple parenthèse.Mais cette hypothèse est peu probable. La pression sociale et citoyenne qui va se faire de plus en plus forte exigera que les nouveaux discours se traduisent effectivement dans la réalité, notamment en ce qui concerne la réglementation des paradis fiscaux et des stocks-options.
B.M. : Au stade où nous nous trouvons aujourd'hui, à la fin de la crise financière et au tout début de la crise économique, c'est à une perte de confiance envers ce système que nous assistons en premier lieu. Cette perte de confiance est un préalable pour revenir ensuite à des questions essentielles. Le monde politique s'est contenté jusqu'à maintenant de trouver des réponses conjoncturelles et non structurelles sans se poser encore les questions fondamentales de la place et du rôle de la monnaie, de celle du système bancaire ou de l'avenir du travail.
Propos recueillis par Eric Tariant
Patrick Viveret est conseiller référendaire à la Cour des comptes. Ancien rédacteur en chef de la revue Transversales science et culture, il est l'un des initiateurs des Dialogues en humanité et l'auteur d'un rapport sur une autre approche de la richesse intitulé Reconsidérer la richesse (l'Aube, 2004). A lire: Pourquoi ça ne va pas plus mal (Fayard, 2006).
Bernard Montaud est psychanalyste corporel. Il est le fondateur d'une école de la vie intérieure (Art'As) et du Réseau d'initiatives solidaires (RIS, net: le-ris.org ). A lire: Bénie soit la crise de l'Occident. Une analyse spirituelle de la crise. (Edit'As, 2009. Net:editas.fr)