Il en a été largement question ce week-end: la France vient de perdre son triple A. De quoi alimenter les débats, mais aussi les querelles entre politiques de tous bords. Mais s'agit il d'une crise économique ou de quelque chose de beaucoup plus vaste, de beaucoup plus fondamental qui touche tous les aspects de la vie , au niveau mondial ? Ne faudrait-il pas parler de crise spirituelle ? Jusqu'où faudra-t-il aller dans l'effondrement de ce monde actuel pour comprendre ?
La spiritualité en temps de crise économique
Notre post du 20 novembre 2011 faisait déjà état de l'article paru dans TGV Magazine et intitulé "La crise, une opportunité" dans lequel on découvrait le point de vue de Bernard Montaud et Patrick Viveret. Le 1er janvier 2012 l'émission "Les racines du ciel" de Frédéric Lenoir et Leili Anvar accueillait Patrick Viveret sur le thème "La spiritualité en temps de crise économique".
Comment avoir un autre regard sur la crise, qui ne soit pas un regard défaitiste, qui permette de croire en des solutions et dont il faudra essayer de mettre en oeuvre les meilleures ?
Les premières minutes de cette émission de près d'une heure donnent le ton. Ce qui rend la crise systémique, ce qui est commun à la partie financière, mais aussi écologique, sociale ou plus généralement politique de la crise, c'est la démesure.
Démesure dans nos rapports à la nature en prenant pour exemple les ressources fossiles accumulées pendant des millions d'années, comme le pétrole, qui sont exploitées et gaspillées en quelques générations. Démesure également à travers les atteintes majeures à la diversité; son constat également dans le dérèglement du climat avec les phénomènes extrêmes que cela produit.
Démesure dans le domaine social où le creusement des inégalités produit le fait qu'à l'échelle planétaire, la fortune personnelle de 225 personnes est égale aux revenus cumulés de deux milliards et demi d'êtres humains. La première fortune mondiale représente 55 millions de fois le seuil de pauvreté mondial. A l'échelle hexagonale, la première fortune française représente 23 millions de fois le seuil de pauvreté mondial.
Présente également sur le plan financier, la démesure amène à ce constat terrible : sur les transactions financières quotidiennes, seulement 2,7 % correspondent à des biens et services réels. Le reste, les 97 % restants relèvent de la logique spéculative.
Or, indique Patrick Viveret, la démesure est elle-même en lien avec du mal-être et du mal de vivre. D'après un rapport mondial sur le développement humain, les sommes qui étaient nécessaires pour traiter les besoins vitaux de l'humanité, la faim, les soins de base, le logement, l'accès à l'eau potable, représentaient moins de 10 fois, par exemple, les sommes qui étaient dépensées chaque année pour la drogue et les stupéfiants (que l'on peut considérer étant directement l'économie de gestion du mal-être). L'économie de l'armement représentait elle 20 fois ces sommes nécessaires pour les besoins vitaux.
Quant à la publicité, chaque année, on dépense dix fois plus en publicité que ce que l'on fait sur la faim, les soins de base, le logement, l'eau potable... C'est ce qui amène Patrick Viveret à dire que la publicité, pour l'essentiel, est une forme de gestion consolatrice de notre mal-être. C'est à dire, plus nous sommes dans la destruction de la nature, plus la publicité met en scène la beauté; plus nous sommes dans la rivalité, le stress, la compétition, et plus la publicité met en scène la paix, l'amour, l'amitié; plus nous sommes dans l'absence de vie intérieure, et plus on va mettre en scène des gens qui méditent...
La publicité est une formidable dérivation du désir pour nous donner ce que des philosophes appelleraient une promesse dans l'ordre du développement de l'être, mais pour mieux nous faire consommer dans l'avoir.
Toujours d'après Patrick Viveret, si on met en rapport ce couple démesure et mal de vivre qui est au coeur aussi bien de la crise financière, écologique, sociale, etc, on va comprendre aussi, positivement parlant, que le couple positif c'est celui que, par exemple, Pierre Rabhi appelle la sobriété heureuse , c'est à dire à la fois , d'un côté, l'acceptation des limites, et puis, de l'autre, une qualité de vie supérieure.
Dans la relation être/avoir, beaucoup ont fait de l'argent une fin au lieu de le considérer seulement comme un moyen. Dans la phase critique que nous connaissons actuellement, l'humanité peut dès lors se perdre, mais, en même temps, on peut y percevoir une situation pouvant lui permettre un saut qualitatif dans sa propre harmonisation.
Et de citer encore le Wall Street Journal qui, dans un éclair de lucidité dans un de ses éditoriaux, aurait écrit: "Wall Street ne connaît que deux sentiments: l'euphorie ou la panique" , ce qui est exactement la définition de la psychose maniaco-dépressive, dit Patrick Viveret. Il lui semble donc qu'il faut aller vers un projet de société de bien-vivre et qu'il faut réencastrer l'économie dans l'éthique.
Les racines du ciel: La spiritualité en temps de crise