dimanche 29 janvier 2012

Inde : "miracle" des statues buvant du lait ( 1 )

Il apparaît que toutes les religions connaissent des événements insolites, inexplicables et, à priori, irrationnels et c'est pour cette raison qu'avait été évoquée ici l'icône de tradition orthodoxe de Garges les Gonesse d'où s'écoulait en février-mars 2010 un liquide huileux. Mais, peut-être nous en rappelons nous encore, il y a déjà pas mal d'années, même les médias français avaient brièvement relaté un autre phénomène insolite, celui des statues hindoues qui "buvaient" le lait qu'on leur présentait dans une cuillère.

Ganesh : le dieu qui buvait du lait

Dans son numéro 353 de juillet-août 2004, la revue Nouvelles de l'Inde éditée par l'ambassade de l'Inde a consacré trois pages à ce phénomène étrange qui a fait parler de lui à l'échelle planétaire en 1995, article ( traduit de l'anglais par Christiane Besse) dont voici la reproduction partielle de la première page:


Extrait de l'article paru dans Nouvelles de l'Inde no 353 de juillet/août 2004



L'auteur de l'article, Shashi Taroor, y explique d'abord longuement la "nature" et la "fonction" de cette sympathique et omniprésente divinité, représentée avec une tête d'éléphant et censée supprimer les obstacles. " Ventru, trapu, la trompe bien longue (mais une défense brisée), affublé de n'importe quel costume (de l'ascète à l'astronaute) imaginé par l'artiste, Ganesh traversant les coeurs indiens sur un rat est sans doute la divinité la plus populaire de l'hindouisme."

On relèvera d'ailleurs la perception très personnelle de Dieu dans l'hindouisme, comme l'indique l'auteur de l'article :    "Car, dans mon hindouisme, la figure divine n'est pas une entité distante et sévère installée dans des cieux lointains. Dieu est immédiatement accessible tout autour de nous et il prend plusieurs formes pour ceux qui ont besoin de l'imaginer d'une façon plus intime."

Mais ce qui nous intéresse surtout ici c'est ce qui se produisit soudain en 1995, à la surprise générale. Voici ce qu'en dit l'auteur:

" A la fin de septembre 1995, le bruit courut autour du monde que des statues de Ganesh s'étaient mises à boire du lait. Dans certains cas, affirmait-on, les statues de ses divins parents , Shiva et Parvati, s'envoyaient aussi ces offrandes liquides  mais c'était Ganesh qui en lampait la part de l'éléphant. Tôt, le jeudi 21 septembre, la rumeur se répandit à Delhi que les dieux étaient en train de boire du lait; on racontait qu'une statue de Ganesh  dans un faubourg de la capitale avait déjà avalé la moitié d'une tasse. En quelques heures, le délire avait fait le tour du globe, tandis qu'affluaient les rapports venus de temples et de sanctuaires privés dans des lieux aussi éloignés que Long Island et Hong Kong, témoins du même phénomène. 

On racontait qu'à Londres, au sein du temple de Vishna  dans le quartier indien de Southall, une statue de quarante centimètres buvait des centaines de cuillerées de lait; l'auguste gazette The Times annonçait à la une qu'en vingt quatre heures, dix mille personnes l'avaient vu boire. Dans le temple Geeta Bhavan de Manchester, une statue en argent de Ganesh de huit centimètres de haut, en avait dégusté de prodigieuses quantités. D'impitoyables journalistes appartenant à des tabloïdes britanniques, à la recherche d'une fraude à débusquer, filmèrent et photographièrent le phénomène et se déclarèrent sidérés. "J'ai regardé, saisi de stupeur", confessa l'homme du Daily Star, tandis que son rival du Sun "en restait bouche bée d'incrédulité".     

En Inde, les rationalistes furent prompts à réagir. Il ne s'agissait, affirmèrent-ils, que d'une affaire de physique élémentaire. Les molécules sur la surface de pierre et de marbre avaient créé une " action capillaire " qui pompait les gouttelettes de lait. Celles-ci n'étaient pas vraiment absorbées mais formaient à la surface une fine couche visible si la statue se trouvait dans l'obscurité. Une équipe de savants nommés par le gouvernement entreprit de démontrer la chose à la télévision, en mettant de la poudre verte dans le lait : une tache verte s'étalait alors à la surface d'une statue de marbre blanc. On parla d'hystérie massive; selon d'aucuns, des prêtres indiens (qui vivent des offrandes des fidèles dans les temples) essayaient simplement de se faire un peu de clientèle; selon d'autres, ce n'était qu'une affaire de politique, soulignant le besoin pour le gouvernement Hindutva faiblissant de convertir les gogos à son credo. Le Pionner de Delhi publia la photo d'un bec émergeant de l'arrière d'un temple et d'où du lait se déversait dans un seau, suggérant par là qu'une fraude et non pas une soif divine expliquait le lait évaporé dans les lieux sacrés.

Les rationalistes et les croyants avaient probablement tous raison. C'est dans la nature de la foi, la foi scientifique pas moins que la foi religieuse, d'avoir tendance à se confirmer elle-même. J'étais en voyage au moment où l'affaire éclata et, quand on rapporta que l'absorption de lait cessait dans la plupart des lieux le vendredi après-midi, je crus avoir raté complètement le miracle. 

Une semaine plus tard, au Texas, on me parla d'une maison dans la banlieue de Houston où le phénomène avait persisté. Un peu sceptique mais très curieux, je décidai d'y aller moi-même et fus conduit là-bas en Mercedes par une femme d'affaire sikhe et avisée qui n'avait aucun intérêt pécuniaire ou religieux à voir le miracle justifié. Nous nous arrêtâmes devant une maison indienne assez quelconque; des cordes avaient été tendues dehors pour canaliser la foule qui était absente ce vendredi là, le huitième jour et ouvrable de surcroît.

La maîtresse de maison nous conduisit dans sa petite chapelle, une salle de puja fort ordinaire, comme il en existait des quantités dans les demeures hindoues autour du monde. Elle possédait un grand nombre de statues et d'images mais dont une seule buvait du lait : une minuscule figurine en terre cuite de Ganesh, pas plus de six centimètres de haut. Mon amie sikhe, la main tremblante, tendit sa cuillère vers le buste miniature et nous vîmes tous deux le lait disparaître dans le petit Ganesh.

C'était maintenant mon tour; avec une froide incompétence, je maintins la cuillère ferme, et à niveau, et le lait ne bougea pas. " Penchez-la un peu " me pressa notre hôtesse, et, alors que j'obtempérais, le lait disparut dûment dans la statue. Non pas comme si j'avais versé le lait car il aurait alors coulé différemment; et je ne l'avais pas davantage maladroitement répandu, même si une ou deux gouttes étaient tombées à terre. Non, au contraire, il semblait qu'une force inconnue avait doucement attiré le lait, peut être une action capillaire. (Om capillary actioneyeh namaha ?

La statue, nous raconta-t-on, avait été "nourrie" cent quatre vingt fois par jour pendant huit jours; ses canaux capillaires et l'ensemble de ses capacités d'absorption devaient tout de même être saturés à présent ? Tandis que nous étions plantés là à remuer ces pensées, une jeune femme indienne en jeans et tee-shirt, de toute évidence un membre de la nouvelle génération d'Américains sous-continentaux, vint prendre son tour devant la statue. Ganesh but goulûment le lait de la cuillère qu'elle lui tendit.

Notre hôtesse n'accepta ni argent, ni offrande. Son époux n'était pas un prêtre, ni un revivaliste hindou; il occupait un poste de directeur dans une compagnie de matériel informatique de Houston. Lors de notre conversation, elle montra la simple conviction religieuse de tant de femmes de classe et, je dirai, d'âge moyen; elle était émue par ce qui se passait dans sa maison, elle croyait implicitement au miracle, elle ne questionnait ni sa nature, ni ses fins, elle n'en attendait rien (en subissait d'ailleurs, de son fait, beaucoup d'inconvénients) à part la justification de sa propre foi. Chaque soir, elle baignait la petite statue et la "mettait au lit " sur un petit trône doré emmailloté de mousseline; le lendemain matin, Ganesh était de retour sur un piédestal dans la prière, plus assoiffé que jamais.

Je ne savais pas comment réagir à ce que je venais de voir. J'étais venu par curiosité et non pour explorer ou affirmer une croyance. Cette histoire de lait n'avait aucun rapport profond avec "mon" hindouisme; ma foi ne se trouvait ni renforcée, ni exaltée par par la vue d'une statue galactophage, pas plus qu'elle n'aurait été ébranlée ou diminuée par un refus de Ganesh de s'exécuter. J'étais prêt à croire qu'il pouvait y avoir une explication parfaitement rationnelle à l'affaire, mais j'étais également prêt à accepter qu'un phénomène pouvait s'être produit qui n'était pas immédiatement susceptible d'être démystifié par les scientifiques.
Je crois que le monde pose plus de questions que la science n'a encore trouvé de réponses et je n'ai donc intellectuellement aucune difficulté à m'accommoder de l'idée du surnaturel. Pas plus que n'en ont les millions d'adeptes qui se pressent dans les temples partout sur la Terre et qui ont vu dans le phénomène un simple message venu d'en haut pour indiquer que les dieux restent intéressés par les affaires du commun des mortels.

Mais les hindous ont toujours pensé qu'il en allait ainsi : le miracle du lait a simplement renforcé une hypothèse non exprimée sur la nature de la divinité. Nos dieux peuplent les rues, nous sourient ou nous regardent de travers du haut des cieux, nous bousculent pour se faire de la place dans les autobus; ils font partie de notre vie quotidienne, aussi intimes et personnels que les serviettes dont nous nous enveloppons après un bain. S'ils nous poussent hors de notre lit demain, il y aura toujours des savants pour souligner une faute géologique alors que les hindous accepteront comme un fait l'intention divine de les réveiller, juste comme ils ont accepté le miracle du lait.

L'intrusion des dieux dans nos vies à travers l'épisode laitier n'a donc rien de très aberrant. Je le répète, ils font de toute façon déjà partie de notre vie; nous nous voyons en eux, mais idéalisés.  [ ...]" (Source : Nouvelles de l'Inde)

A travers ce récit-témoignage, l'on aura compris que rationalistes et "croyants" restent sur leurs positions respectives. Et pourtant s'il y avait encore une autre explication ?